Côte à côte...
"C'était la première fois qu'il leur paraissait être seuls, bien qu'ils eussent vécu côte à côte".
Henri Barbusse, L'Enfer, 1908
J'imagine que toutes les côtes de boeuf du monde, aussi nombreuses soient elles, doivent se dire la même chose.
Passer du train-train quotidien à la solitude de la vitrine...cela ne doit pas être évident.
Vous me direz sans doute, et vous aurez factuellement raison, que la vitrine du boucher regorge de nombre autres pièces : ris, faux-filets, escalopes, pintades, foies, etc. ... Et qu'en ce sens la solitude ne prend pas corps.
Je vous dirai alors que la solitude persille la côte dès lors qu'elle est détachée du train. Je vous dirai que la solitude dessèche la côte et la rend meilleure.
D'aucuns appellent cela rassir...
Une fois détachée des autres, la côte change son fusil d'épaule.
"Puisque je suis seule, désormais je joindrai toute ma chair vers un seul et même but : le goût.
Oui, j'ôterai l'humidité superflue, mon gras sera dense, je laisserai tomber le vermillon de ma jeunesse pour un lit de vin plus adulte.
Et quand viendra mon tour, je me tiendrai fièrement dans la vitrine, n'ayant rien d'autre à faire qu'attirer l'oeil.
Lorsque le plus grand moment de ma vie sera sur le point de naître, je regarderai l'homme droit dans les yeux, j'arc-bouterai mon corps pour lui dire "vas-y, prends moi, je suis prête".
Mon sort reposera alors entre ses mains car je ne pourrai pas donner plus, il faudra simplement avoir confiance en lui...
"Ainsi, je partirai sereine dans le soupir de plaisir de l'homme croquant ma chair..."